LA RECHERCHE GENETIQUE DU KERATOCONE
Dans
le monde scientifique, Il était communément admis,
d’après les travaux réalisés depuis
le début du 20eme siècle, que seulement 10% des
kératocônes étaient des formes familiales
et donc probablement d’origine génétique.
Plusieurs études récentes, publiées en
2000 et 2001, réalisées avec des moyens de détection
de formes à minima de kératocône, qui passaient
inaperçues auparavant, suggèrent qu’ en
fait au moins 40% des kératocônes seraient liés
à une anomalie génique. Ainsi, chez les apparentés
de kératocône (frère, sœur, parents,
enfants) la probabilité d’être atteint serait
15 à 67 fois supérieure à celle observée
dans la population générale. Cette piste génétique
a conduit plusieurs équipes américaines et européennes,
dont la notre, à se lancer avec le soutien actif d’associations
de malades dans la course à la découverte du gène
impliqué dans les formes familiales de cette affection
cornéenne. En effet, la découverte de l’anomalie
génétique responsable de cette maladie aurait
des conséquences considérables dans le domaine
de la cornée. Elle permettrait de mieux caractériser
et dépister les formes débutantes, de préciser
le mécanisme d’apparition de cette affection et
à plus long terme de mettre en place des stratégies
thérapeutiques visant à freiner l’évolution
de cette pathologie et éviter la greffe de cornée
qui est actuellement le seul recours pour le kératocône
avéré.
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Notre
projet, initié il y a 3 ans, a d’abord consisté
à recruter de nombreuses familles de kératocône
à travers la France et une partie de l’Europe,
créant une banque d’ADN issus de nombreux patients
volontaires et de leur entourage familial, dans des familles
comportant 2 kératocônes avérés.
Ce premier travail a permis de mieux préciser les caractéristiques
cliniques des kératocônes débutants en analysant
très finement la forme des cornées de nombreux
apparentés apparemment sains dans les familles atteintes.
Ces découvertes ont donné lieu à une publication
scientifique dans un article de la revue Ophthalmology , organe
de référence de la société américaine
d’ophtalmologie en mai 2004 (1). Ce travail constitue
une avancée dans la détection des formes peu sévères
de la maladie et permet de mieux « étiqueter »
les patients sains et malades, ce qui est un préalable
indispensable à toute étude de liaison génétique.
La
première partie des tests génétiques effectuées
sur plus de 180 membres de 23 familles atteintes du kératocône
familial nous a permis de mettre en évidence une région
du chromosome 2 contenant un gène responsable du kératocône.
Ces résultats vont être publiés très
prochainement dans une revue internationale de référence
en génétique (2). Il faut souligner que la présence
du gène anormal ne se traduit pas toujours par l’expression
de la maladie car des mécanismes de compensation existent,
ce qui est une chance pour le porteur, mais complique l’interprétation
des résultats, car un sujet qualifié de sain peut
porter le gène anormal.
Par la poursuite laborieuse de ce travail de biologie moléculaire,
la région chromosomique de grande taille au départ,
a été réduite à une petite zone
d’environ 50 gènes qui devrait contenir au moins
le gène anormal. Malheureusement, la zone suspecte où
se trouve très certainement le gène responsable
, n’est pas encore séquencée, ce qui signifie
que les gènes de cette région n’ont pas
encore tous été découverts par les généticiens
qui travaillent dans le monde entier pour décoder tous
l’ensemble des gènes de l’ADN humain (comme
le projet Genethon ). La petite zone qui nous intéresse
donc n’est pas cartographiée, et nous avançons
donc péniblement dans une zone inconnue.
Loin
de nous décourager si près du but, nous
poursuivons le séquençage des gènes de
cette petite région, afin de découvrir quel est
le gène de cette région qui est défectueux
en comparant pas à pas, minutieusement, au sein des familles,
maintenant l’ADN de patients et l’ ADN des apparentés
sains.
Pour accélérer la découverte du gène
muté de cette région, nous venons de mettre en
place une étude de déséquilibre de liaison,
stratégie qui a permis tout récemment de mettre
en évidence un gène prédisposant à
l’infarctus du myocarde. Le principe est de comparer l’ADN
d’une population d’au moins 200 kératocônes
sporadiques (survenant de façon isolée) ou familiaux
à une population de témoins sains dont l’âge
et l’origine ethnique et géographique sont comparables.
Ce type d’étude nécessite une collaboration
large entre plusieurs centres, et le soutien actif d’associations
de patients car plusieurs centaines de sujets sont requis pour
espérer aboutir à un résultat. Cette stratégie
devrait nous permettre de repérer avec plus d’exactitude
la portion où se trouve le gène muté responsable
du kératocône.
En
conclusion, l’identification du ou des gènes
du kératocône constituerait un résultat
majeur dans la prévention et la thérapeutique
de cette maladie de la cornée. L’application principale
et immédiate serait la possibilité d’offrir
un outil de dépistage précoce, par prélèvement
sanguin, pour les membres des familles dont un membre est atteint
, avec une marge d’erreur réduite.
Ce test de dépistage s’appliquerait aussi aux patients
désireux de bénéficier d’une chirurgie
réfractive cornéenne, car dans ce cas , la présence
d’un kératocône très minime constitue
une contre indication absolue (risque d’aggravation du
kératocône) et pour l’heure aucun moyen de
détection n’est satisfaisant.
Dans le domaine thérapeutique, de nouveaux médicaments
dérivés de ces études pourraient traiter
efficacement cette affection cornéenne, en remplaçant
les molécules impliquées produites insuffisamment
et/ou anormalement sous l’impulsion du gène défectueux.
Cette approche conservatrice et plus physiologique permettrait
de freiner l’évolution et peut-être d’éviter
le recours à la greffe de cornée.
Références
:
1. Levy D., Hutchings H., Rouland J.F., Guell J., Burillon
C., Arne J.L., Colin J., Laroche L., Montard M., Delbosc B.,
Aptel I., Ginisty H., Grandjean H., Malecaze F., Videokeratographic
anomalies in familial keratoconus, Ophthalmology, 2004; 111
(5):867-74.
2. Hutchings H., Ginisty H., Le Gallo M., Levy D., Stoësser
F., Lalaux M.H., Calvas P., Roth M.P., Hovnanian A., Malecaze
F., Identification of a new locus for isolated familial keratoconus
at 2p24, J Med Genet, In Press.
ETUDE DE LIAISON CRNK TOULOUSE |
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