Dans le très beau rapport de la SFO 2009 « Les lentilles de contact », dirigé par Florence Malet, le chapitre consacré aux verres scléraux perméables à l’oxygène fait un point complet sur ces lentilles de grande dimension sans contact cornéen. Ce type de lentille qui passe en pont au-dessus de la cornée est utilisé dans les grandes déformations cornéennes et sur des yeux ayant dépassé les larges possibilités d’adaptation de la contactologie classique.
QUAND PROPOSER UNE LENTILLE SPOT ? |
Les services rendus par cette lentille dépassent ceux des pathologies exceptionnelles : syndrome de Lyell, syndrome de Stevens-Johnson, pemphigoïde oculaire, brûlures, syndromes secs sévères…
Les principales indications sont :
le kératocône très évolué, gardant une cornée centrale transparente et un test de Charleux inférieur à 7 mm,
la dégénérescence marginale pellucide, la maladie de Terrien,
les astigmatismes importants après kératoplastie transfixiante,
le porteur de LRPG accusant une trop grande gêne,
le porteur de LRPG avec décentrement et instabilité, source de pertes fréquentes.
L’avantage de la lentille SPOT est l’utilisation du rayon équivalent, c’est-à-dire celui qui passe en pont sur toute l’anomalie cornéenne par le principe physiologique de l’appui sur la conjonctive bulbaire périlimbique dont la sensibilité est 20 fois moins importante que celle de la cornée. Mais nous ne perdons pas de vue qu’il s’agit d’une zone pouvant subir des modifications d’épaisseur – comme chez les sujets allergiques –, ce qui peut modifier le confort du patient.
Ses caractéristiques
L’innovation réside dans l’utilisation d’un matériau à forte perméabilité à l’oxygène associée à un nouveau procédé d’appareillage et de fabrication. La lentille SPOT utilise un matériau à forte perméabilité à l’oxygène. Elle existe en trois diamètres :
S (petit) de 17 mm,
M (moyen) de 19 mm,
L (large) de 21 à 23 mm.
Dans ces trois diamètres, 10 profondeurs sagittales croissantes de verres existent, graduées de 0 à 9, par intervalle de 0,2 mm. La face postérieure est composée :
d’une zone sphérique centrale dont l’étendue varie avec la profondeur. Le Ro varie de 7,00 à 8,20 mm ;
d’une courbe de transition asphérique qui est effectuée au tour en trois dimensions (X, Y, Z) ;
d’un rayon scléral qui part du Ø14 mm, de forme elliptique à excentricité progressive. La face antérieure (Ra) est réalisée en rayon sphérique pour obtenir la puissance en fonction de l’amétropie calculée par le contactologue et sa lentille d’essai. Cette face antérieure rejoint le bord dont l’épaisseur est de 25/100.
L’adaptation
Le seul outil utilisable pour l’adaptation est la boîte d’essai. Nous utilisons la S3 comme première lentille d’essai (sauf si l’on se trouve devant un kératocône stade IV). La lentille est remplie de sérum physiologique avec une goutte de fluorescéine à 0,5 % et on contrôle au biomicroscope en lumière bleue, fente large, que la lentille passe bien en pont au-dessus de la cornée. Si on constate un contact avec la cornée, on augmente la profondeur en passant à S4, S5… jusqu’à ce que l’on n’observe plus de point de pression. Arrivé à ce stade, on contrôle le ménisque de larmes dont l’épaisseur doit être égale à la moitié de l’épaisseur cornéenne (la fente du biomicroscope doit être inclinée à 45° en lumière blanche et fente fine). Si le diamètre (S) paraît insuffisant, on passe au diamètre moyen (M) ou large (L) en conservant l’exposant qui précise la profondeur car, sur l’oeil, le comportement de la lentille S4, par exemple, est le même que M4 et L4 (S4 = M4 = L4). On contrôle la modification de diamètre par son effet sur la conjonctive bulbaire. On passe ensuite à l’examen de la périphérie qui ne doit pas comporter de zones de pression. Dans le cas contraire, elles seront signalées au laboratoire en précisant la ou les localisations à l’aide d’un cadran horaire. La lentille SPOT jugée correcte est portée 1 h au moins en salle d’attente avant de procéder au calcul de la réfraction additionnelle par :
réfractométrie automatique,
réfraction subjective, sans oublier la méthode du brouillard,
skiascopie, si la transparence cornéenne le permet.
La manipulation et l’entretien
La manipulation est très importante, car la commande de la lentille ne peut être faite que si la manipulation est possible et maîtrisée. Pour aider le patient à la manipulation, il dispose d’un kit de départ comprenant :
pour la pose, un support à fond perforé sur lequel on pose la lentille centrée et remplie de sérum physiologique,
pour le retrait, une petite ventouse qui sera placée humide sur la partie périphérique - et non centrale - afin de ne pas créer de succion lors du retrait. Après massage avec une solution nettoyante pour LRPG et rinçage soigneux au sérum physiologique, la lentille est placée dans son boîtier contenant le produit de décontamination pendant la nuit. Le massage permet de vérifier l’absence de dépôts et de rugosités.
Une fois par semaine, on conseille un trempage de la lentille dans une solution de déprotéinisation pendant 30 minutes le soir avant le trempage dans la solution d’entretien habituelle, afin de conserver une bonne perméabilité au matériau.
Des lentilles sur mesure
Les lentilles SPOT étant fabriquées sur mesure, les possibilités de modifications de forme sont nombreuses.
La réalisation de canaux. Afin d’accélérer les échanges lacrymaux et limiter les débris lacrymaux, il est conseillé de demander au fabricant la réalisation de canaux (CxY) dont la disposition est le plus souvent en « Y incliné » sans atteindre le bord pour éviter l’introduction de bulles d’air. Les lentilles de grand diamètre (L) sont automatiquement équipées de ce type de canaux. Les flèches 1,2 et 3 montrent les trois canaux d'écoulement des larmes ici mis en évidence à la fluo.
Les cycloïdes.
Les appuis 3h-9h sur les insertions des muscles droits peuvent être diminués par la commande de cycloïdes (bosselages sur la face postérieure). Le plus souvent au nombre de deux sur un axe horizontal 3h-9h. La flèche désigne les cycloïdes :« bosselages internes » 3h-9h.
Les perforations.
Les perforations de 0,3 mm de diamètre sur la périphérie de la lentille aident au retrait des lentilles (phénomène de ventouse). Le plus souvent au nombre de trois, elles sont disposées à 120° les unes des autres afin que, quelle que soit l’orientation à la pose, l’une des perforations au moins soit exposée dans la fente palpébrale. Les trois flèches montrent les micro perforations.
Une étude portant sur 29 yeux
Une étude portant sur 26 patients handicapés par un kératocône sévère a été effectuée. Les indications retenues concernaient : 16 kératocônes greffés et 13 kératocônes non greffés, soit 29 yeux équipés au total. Différents diamètres et profondeurs de lentilles SPOT ont été utilisés (tableau 1).
Tableau I. Diamètres et profondeurs des lentilles SPOT (29 yeux).
La durée de port quotidienne après une année était supérieure ou égale à 16 heures (15 cas), limitée à 12 heures (5 cas) et à 8 heures (4 cas). Il y a eu 5 abandons en raison de problèmes de tolérance. Les acuités visuelles obtenues étaient de :
10/10 = 18 cas (dont 1 abandon),
9/10 = 3 cas (dont 1 abandon),
8/10 = 5 cas (dont 1 abandon),
5/10 = 3 cas (dont 2 abandons).
L’expérience avec ce type de lentille a montré qu’il fallait se méfier :
d’une manipulation mal maîtrisée, source d’inconfort et de complications dues aux bulles d’air résiduelles. Pour régler ce problème, l’utilisation d’un visqueux sans conservateur (type Artelac, Vismed…), complété de sérum physiologique, supprime le risque, notamment sur les lentilles SPOT à forte profondeur (L6, L7…) ;
des allergies à composante ORL. Les plus grandes satisfactions ont été données par l’équipement de patients ayant bénéficié d’une greffe de cornée et présentant un astigmatisme important : gain spectaculaire d’acuité visuelle et bonne tolérance de ces lentilles sclérales sans contact cornéen.